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3 h 13
Sibby écouta Steve sans l’entendre. Elle avait l’esprit occupé par les textos. Il fallait qu’elle lui en parle sans qu’il s’affole.
— Tu ne me dois aucune explication sur rien, dit-elle. Peu importe.
— Non, il faut que tu saches.
— Quoi que ce soit, Steve, ça peut attendre. Moi aussi, j’ai quelque chose à te dire.
Elle sentit sa main se détendre dans la sienne, comme s’il prenait déjà ses distances.
— De quoi parles-tu ? demanda-t-il.
— Je t’ai menti hier matin. J’ai cru que je me faisais des idées, et tu étais dans un tel état…
— Viens-en au fait.
— Quand je me suis réveillée, je me suis sentie bizarre. L’esprit engourdi. Endolorie.
Steve retint son souffle et baissa la tête, laissant Sibby perplexe. Elle s’attendait à le voir sauter au plafond, mais il réagissait comme s’il était déjà au courant. Était-ce le cas ? L’avait-on examinée pour chercher des traces d’un viol sans la prévenir ?
Il retira sa main. Elle la rattrapa in extremis.
— Attends, ce n’est pas tout. Il y a aussi des textos.
— Des textos ? répéta-t-il, surpris.
Elle lui raconta tout ce dont elle se souvenait. Qu’ils avaient l’air de versets de la Bible vaguement égrillards et qu’ils arrivaient quand il était sorti ou qu’elle était seule.
— Pardonne-moi de ne pas t’en avoir parlé. Je ne voulais pas t’inquiéter. Je t’en prie, ne sois pas fâché.
— Bien sûr que je ne suis pas fâché, voyons, dit-il. Qu’est-ce que tu t’imagines ?
— Je ne sais pas si ça a un rapport avec ton travail, mais si c’est le cas…
— Il y en a un, dit-il sans s’émouvoir.
— Mais pourquoi nous ? Pourquoi moi ?
— C’est moi. C’est ma faute. Tu es avec moi, alors il s’en prend à toi aussi. Et au bébé. Il continuera. Il ne renoncera pas.
Cette révélation fit à Sibby l’effet d’un coup dans l’estomac. Durant tout ce temps, toute leur vie ensemble, elle s’était imaginé que le stoïcisme de Steve était un trait de son caractère, rien de plus. Mais, à présent, elle comprenait que c’était une tactique de survie, un mur qu’il avait élevé pour séparer sa nouvelle vie de l’ancienne.
— Eh bien, il n’y a qu’une chose à faire, dit-elle.
— Quoi ?
— Y mettre fin.
Steve la regarda, médusé, comme un gamin qui vient de se faire gronder. Puis il se ressaisit.
— Tu ne comprends pas, dit-il. Je ne t’ai pas tout raconté. Lui et moi nous sommes déjà croisés.
— Je m’en fiche. Tu es le meilleur dans ton domaine, même si tu n’as pas travaillé depuis un moment. Pourquoi serait-on venu te trouver ? Pourquoi le FBI te supplierait de te charger de cette affaire ?
— Ce n’est pas la première fois que j’essaie. Une fois officiellement, une autre officieusement, mais j’ai échoué. Je n’ai pas pu l’attraper. Je ne suis pas l’homme de la situation. Quoi qu’en pense le FBI.
— Alors on est censé faire quoi ? Nous enfuir à toutes jambes en espérant qu’il ne nous courra pas après ? Tu peux l’arrêter, Steve.
— Tu ne comprends vraiment pas.
— Arrête de me répéter ça. Depuis le temps que nous sommes ensemble, tu crois que je ne te connais pas ? Que je ne connais pas celui que tu tentes de me cacher ?
— Ce n’est pas ça.
— Qu’est-ce que c’est, alors ?
— La seule manière de l’attraper, c’est de devenir comme lui, de nourrir les mêmes pensées malsaines, de pénétrer dans son esprit malade et d’essayer de comprendre. Mais je ne peux pas. Pas en ce moment. Pas maintenant que je dors dans ton lit, avec un bébé qui doit bientôt naître. C’est cela que tu ne comprends pas. Si j’essaie d’attraper ce monstre, je suis mort de trouille à l’idée de ne plus pouvoir redevenir moi-même.
Sibby lui caressa le visage. Elle lui releva le menton afin de pouvoir le regarder droit dans les yeux. Qu’ils soient à nouveau comme tant de fois auparavant, deux âmes mises à nu se livrant l’une à l’autre.
— Je te connais, dit-elle calmement. Et je sais que ce n’est pas possible.
On frappa à la porte. Encore des infirmières ? Il faut qu’on vienne nous interrompre maintenant ? se dit-elle.
Mais ce n’était pas le personnel de l’hôpital. C’était l’ancien chef de Steve : Tom Riggins.
— Excusez-moi, dit-il, mais l’avion de Wycoff vient d’atterrir et il veut que nous allions tout de suite au rapport.
Steve baissa de nouveau la tête, mais Sibby ne le laissa pas faire.
— Va attraper ce dingue, dit-elle. Quoi qu’il arrive, je serai là à ton retour.
— Dark, dit Riggins, je sais que le moment est très mal choisi, mais il faut vraiment qu’on y aille.
Steve soupira et se leva lentement, comme un gamin qu’on oblige à quitter le confort douillet de son lit pour aller à l’école un matin d’hiver.
— Je t’aime, dit Sibby en lui frôlant la main une dernière fois. Steve se contenta de se pencher et de l’embrasser.
— Je vous le ramènerai sain et sauf, ne vous inquiétez pas, dit Riggins.
Steve lui jeta un dernier regard rempli de regret. Puis il partit.